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La littérature, ce n'est pas seulement écrire, même de belle manière, de raconter des histoires. Dans un article, Siegfried Kracauer n'analysait-il pas comment la littérature policière annonçait le nazisme? Je propose ici, à travers mes écrits, une réflexion sur les remous de notre temps. Certes édité mais restant dans une certaine confidentialité, je pense qu'il est temps de sortir d'une discrétion volontaire pour offrir à un public plus large des histoires qui éclairent notre société.
2038
Chapitre 1
Le gentry-commercial se trouvait au cœur de la Ville. Il se composait d’une juxtaposition de sous-quartiers strictement délimités avec des fonctions spécifiques : les boutiques de luxe, les restaurants réputés, les lieux de loisirs, les espaces résidentiels à l’urbanisme varié. Tantôt une avenue était bordée d’immeubles anciens, tantôt de tours récentes, d’esplanades destinées aux grandes chaines commerciales. A la faveur de la démolition de parallélépipèdes sans charme construits au milieu du XX siècle, les écoquartiers s’étaient multipliés. Le bois, les panneaux solaires, les couvertures végétalisées faisaient souvent face aux toits couleur ardoise qui servaient de chapeaux aux trois ordres de la fonctionnalité de la Belle Epoque.Alors que la ségrégation spatiale avait été longtemps liée aux revenus, elle était devenue officielle. Pour favoriser les commerces de luxe, il fallait garantir une sécurité maximale, un régime de tranquillité et de bien être à la population de ce secteur privilégié de la Ville.
Lorsqu’il vit les pointillés défiler de plus en plus vite sur le plafond de sa chambre, Domber comprit qu’il devait se lever. La fréquence de passage des lignes bleutées discontinues d’un bord à l’autre de la pièce l’informa qu’il avait dû mettre environ deux minutes pour s’éveiller totalement. Il était attendu à 9 heures précises chez Marty. A l’essai pour six mois, il ne pouvait pas se permettre d’être en retard. Après avoir allumé le plafonnier, il jeta un regard circulaire sur la seule pièce de son cadre de vie. Il se dirigea vers la colonne de douche qui lui faisait face, la tête encore embrumée par le réveil difficile, ouvrit la porte transparente qui prenait toute la hauteur de la pièce, soit un mètre quatre-vingt exactement, ce qui ne le dérangeait pas trop puisqu’il était un petit gars trapu. Il fit monter la vasque jusqu’en haut de la crémaillère, s’accroupit dessous et mit en route le jet rotatif pour se laver.
Il n’avait pas de machine à café, ni de lieu où cuisiner mais il s’en moquait. Il préférait aller prendre un petit déjeuner au Diner d’à côté pour profiter au maximum du quartier gentry commercial où ne résidaient que cinq pour cent de la population de la ville. Attirés par des revenus faciles, de plus en plus de propriétaires, louaient pour des sommes souvent exorbitantes, des soupentes ou des caves aménagées à des gens comme lui qui voulaient à tout prix profiter de la vie protégée du quartier. Cela lui coûtait cinq mille eurodollars par mois, le même prix qu’un appartement dans une résidence dans le périurbain nord. S’il se ruinait à payer ce loyer qui lui coûtait les deux-tiers de son salaire, pour cet espace réduit et totalement obscur, c’était pour avoir le sentiment d’être un privilégié.
Lorsqu’il eut monté la volée de marches qui amenait à la surface et ouvert la porte basse pour accéder à la rue, un instant ébloui par la lumière du dehors, il prit une profonde inspiration et se sentit quelques instants heureux de vivre. Tous les matins, cette sortie lui faisait le même effet qu’une bouffée d’oxygène pur mais cela durait peu. Le quartier gentry commercial était à l’image de tous les plus beaux quartiers du monde. L’absence de trafic automobile faisait résonner les pas et les voix des passants comme à Venise. Les magasins de vêtements avaient leurs vitrines dorées et lustrées comme pour une fête nationale ou un Noël permanent. Les surveillants-conseillers (le mot vigile avait été banni), tous blancs caucasiens, renseignaient avec une extrême politesse des clients décontractés et souriants. Il parcourut quelques centaines de mètres avant d’entrer dans le Diner Chick. Il commanda son long café qu’il but lentement tout en se projetant le film de sa journée à venir. C’était le lieu de rendez-vous de tous les types comme lui, tolérés dès le matin à condition qu’ils soient discrets, correctement habillés et propres. Les agents de la police, avec leur tenue arc en ciel, patrouillaient surtout pour les surveiller, lui et ses semblables. Il n’aurait commis aucun acte qui puisse le faire expulser du gentry. Même lorsqu’il était déprimé, ce qui lui arrivait de temps en temps, il attendait d’être rentré dans sa chambre pour se saouler copieusement, loin des regards et des oreilles des autres habitants. Les semi-clandestins se parlaient peu mais se regardaient beaucoup, essayant de se jauger, de voir si celui qui était en face, près de la fenêtre, avait meilleure mine, était mieux vêtu que celui qui était près de la porte. Les femmes étaient minoritaires, toutes jolies et bien mises. De temps en temps, de riches célibataires et de récents divorcés, venaient y faire leur marché, y trouver une fille avec de l’éducation et des diplômes qui aimerait s’installer durablement dans le quartier.
A la fin de ses études, Domber vécut plusieurs années dans une petite maison de la banlieue nord avec sa compagne. Ils étaient tous les deux responsables d’un réseau de livraison automatique pour un mégamarché. Au bout de trois ans, il en avait eu assez, du métier et du lieu où il résidait, totalement dépourvu d’espaces naturels.
Il avait décidé de quitter son travail pour se remettre à écrire. Depuis ses quinze ans, il écrivait tous les jours sur son ordinateur. A cet âge-là, de nombreux adolescents rêvent de devenir écrivains. Pour la plupart d’entre eux, cette volonté correspond davantage à un désir de célébrité, une soif égotique de reconnaissance qu’à un réel besoin d’écriture. Dans son cas, il en allait peut-être différemment. Il ambitionnait de passer sa journée à écrire. Sans doute se sentait-il bien dans la vaste demeure familiale, perdue dans une campagne qui semblait s’ordonner autour d’elle. Sa chambre, située dans une dépendance à l’écart de la maison, s’ouvrait largement sur un pré ponctué d’une butte sur laquelle trônait, selon la tradition locale, un vieux noyer, gardien solitaire. Au-delà, la masse plus sombre des bois formait un traversin de feuillage qui remplissait l’horizon. Il pouvait rester ainsi des heures, à observer ce paysage sans le voir et inventer des aventures qu’il mémorisait sur un disque dur. Ses parents, un brin écologistes et intellectuels, soixante-huitards attardés, loin de freiner son désir d’écriture, l’avaient fortement encouragé.
A partir de 2018, plusieurs universités proposèrent un cursus d’écriture sur le modèle américain. La France fut longtemps hostile à ce genre de formation. Beaucoup pensaient que l’écriture ne pouvait pas s’apprendre, qu’il s’agissait d’un don qu’on possédait ou pas. Il s’était inscrit dans un de ces cursus au moment même de l’effondrement du livre. Probablement en raison de la crise économique qui avait fait disparaître des discours politiques toute référence à la culture et supprimé la moindre subvention. En quelques années, les ventes furent réduites à trois fois rien. L’équation économique de base, celle de l’offre, beaucoup trop enflée, et de la demande, très anémiée, ne pouvait plus fonctionner. Les maisons d’éditions avaient fait faillite les unes après les autres. Certaines, pour pouvoir survivre s’étaient associées à des firmes qui produisaient des logiciels. Elles étaient devenues des sortes de drugstores virtuels. Quant au livre papier, le décret vert de défense des arbres, surtout destinés à l’approvisionnement énergétique, l’avait définitivement fait disparaître. Sur Internet, les consommateurs n’achetaient plus d’ouvrage de littérature. Même partagés en morceaux d’une valeur maximale d’un eurodollar, ils ne se vendaient plus.
Très vite, la formation qu’il suivait n’eut plus de fonds, plus d’enseignants et pratiquement plus d’étudiants. Il s’était ainsi retrouvé sans projet alors qu’il était en licence. Le krach du livre le laissait désemparé. C’était dans cette université qu’il avait rencontré sa compagne qui, elle aussi, voulait écrire. Pour survivre, ils avaient choisi de travailler pour la mégadistribution, l’activité économique qui fonctionnait le mieux. Lorsqu’il en eut assez, il voulut lui faire partager son désir de reprendre l’écriture. Elle l’avait alors traité de fou, d’instable, d’arrogant. Quant à elle – elle le lui dit très clairement – elle n’écrirait plus la moindre ligne.
Il avait vu un jour une offre d’emploi à l’intérieur d’une publicité pour Marty, puisque désormais toutes les informations étaient incluses dans les spam. Le géant européen de la distribution, pour une rémunération de 8000 eurodollars, proposait des emplois d’écrivains en ligne. Il n’en avait cru ni ses yeux, ni ses oreilles. L’écriture avait-elle encore un avenir ?
Il se rendit au siège de Marty pour y subir une sélection. Il fut reçu à une heure matinale par la responsable du rayon « rêve, écriture, lingerie fine » au milieu de l’atrium du premier étage, parmi les énormes plantes vertes qui, tels des parasols, enveloppaient des tables de bistrot. Il regarda autour de lui et vit une dizaine d’autres responsables, hommes et femmes, qui, comme son interlocutrice, recrutaient des employés. Elle lui expliqua que Marty voulait proposer un nouveau service. La clientèle visée était celle des femmes du gentry qui venaient consommer pour s’évader. La direction avait eu l’idée de faire installer des boxes où les clientes pourraient, après avoir acheté de la lingerie, écouter des chansons ou lire quelques nouvelles. « Nous voulons des gens capables d’écrire instantanément des histoires, des stories de quelques minutes selon le thème souhaité par la cliente. C’est un travail rémunéré au-dessus de la moyenne, aussi nous vous demandons une présence de 9 h à 19 h non-stop. Il va de soi qu’il faut que vous soyez inspiré, réactif, endurant et psychologue. Si nous ne parvenons pas à fidéliser les clientes, nous mettrons fin à l’opération. Notre public est composé de femmes plutôt jeunes, souvent diplômées, qui ne travaillent pas et dont le mari a des revenus très confortables ». Son cursus universitaire avait plaidé en sa faveur. Il fut engagé ainsi qu’un écrivain qui avait connu la célébrité vingt ans auparavant et une ancienne actrice-réalisatrice pornographique.
Tous les matins, il allait à son travail avec la barrette où il stockait tous ses récits, qu’il modifiait souvent en rentrant dans sa cave, parfois la nuit lorsqu’une idée lui venait. Il arriva après Sumi, sa collègue, et bien avant Esselbé qui, à cinquante ans révolus, résistait moins bien à ce rythme de dix heures quotidiennes de travail. Celui-ci avait pourtant l’avantage d’avoir derrière lui une dizaine d’ouvrages, de vrais livres, publiés à l’époque encore florissante du début de siècle. Il avait été alors un jeune écrivain prometteur, plusieurs fois en course pour des prix littéraires. Ils travaillaient tous les trois sur la partie droite du losange formé par l’espace de travail ouvert. Les autres côtés étaient occupés par des musiciens qui jouaient et composaient en ligne à partir de tablettes numériques disposées en série, véritables tableaux de bord et par des conseillers en entretien physique et psychologique. Le dernier côté était le plus actif : quatre femmes et deux hommes se serraient les uns contre les autres pour fournir des conseils en maquillage, forme, cuisine et mode.
Dès qu’il s’installa, Domber plaça sa barrette dans l’encoche de sa table numérique. Il organisa son écran de telle sorte qu’il puisse avoir en même temps une dizaine de bases de récits et attendit. Les clientes, mais parfois des clients, se manifestaient sur la ligne bleue s’ils se connectaient depuis leur domicile ou sur la ligne verte lorsqu’ils le faisaient depuis une des cabines du magasin. Il avait stocké divers récits policiers, des histoires d’amour, de la science-fiction, de l’érotisme. En six mois, les demandes s’étaient nettement orientées sur les histoires d’amour et les récits érotiques. Sumi était très à l’aise dans ces exercices alors qu’Esselbé, pourtant plus professionnel qu’eux au départ, paraissait peiner. Chacun était sollicité une dizaine de fois par jour pour des durées qui variaient de dix minutes à une demi-heure. Lorsqu’ils étaient en attente d’une commande, ils parlaient entre eux, parfois en grignotant les salades composées, certifiées sans OGM, que la boite leur fournissait pour 5 eurodollars par jour. Sumi, grande brune plantureuse de 35 ans, à la peau très blanche, leur a un jour raconté comment elle était passée des scénarii pornographiques à l’écriture de textes aléatoires. Le floutage des gros plans sur les sexes, imposé par l’Europe, avait fait chuter les audiences et les abonnements sur Internet. Elle aussi avait vu ses revenus fondre instantanément. Son compagnon, qui était son partenaire privilégié et ne savait faire que son métier de hardeur, avait fini par se suicider plutôt que de travailler comme testeur de produit pour un mégamarché. Un temps, elle avait vécu chichement de ses économies avant de trouver cet emploi. « J’ai l’impression – dit-elle en avalant un morceau de betterave et un quart d’œuf dur – que ceux qui se connectent sur mon serveur sont souvent des hommes et des lesbiennes. Contrairement à vous deux, je n’ai pas de blocage pour décrire des scènes chaudes. Je crois que les gens, dans ce quartier où tout est cool et calme, ont aussi besoin d’exulter et ils le font par le sexe. » Esselbé semblait apprécier les propos de Sumi. Il la regardait avec une probable admiration. Peut-être appréciait-il son physique mais aussi sa manière de parler, sans détour. D’ailleurs, Domber remarqua qu’elle s’adressait fréquemment à Esselbé qui, parfois, la corrigeait sur le plan stylistique. Il lui donnait – et il en avait également profité – des astuces de professionnel. « Pour que nos lecteurs, quel que soit le récit qu’ils nous demandent, soient accrochés à nos histoires, il faut faire des phrases courtes, très courtes même, pour faire avancer l’action. C’est plus facile. Puis alterner avec des phrases plus longues qui mettent en place et développent la psychologie de nos personnages. »
Ce jour-là, à la fin de la journée, Esselbé leur glissa une adresse et les invita à le rejoindre quelques heures plus tard pour une soirée. Domber rentra chez lui, s’allongea une petite heure sur son lit et sans doute s’endormit-il, avant de se doucher et de ressortir. Dehors il faisait nuit et les lumières étaient totalement éteintes. Au-delà du quartier, un halo étincelant et rosâtre édifié par les lumières blafardes des quartiers périphériques et de la banlieue, donnait l’impression que le gentry était un cratère sombre cerné de lucioles. Il s’avança dans le noir et, au rythme de ses pas, les réverbères s’allumaient, transformant les rues en une sorte de train d’immeubles et de vitrines. A son passage, le quartier étincelait et s’enjouait. Arrivé sur l’esplanade Marty, il regarda le magasin de trois étages, gardé discrètement par trois hommes noirs tapis dans les angles morts de l’entrée, armés de lasers aveuglants. Au lever du jour, ils auraient disparu pour regagner le quartier ethnique ou la banlieue nord. Sur la façade, un hologramme montrait le visage d’un homme âgé, dont le visage émacié était surmonté d’une épaisse chevelure noire artificielle, au-dessous duquel défilait une phrase : « Ce soir, sir John dîne au Grand Fouquet’s ». L’adresse donnée par Esselbéle mena au-delà de son lieu de travail à près de deux kilomètres de chez lui. On était toujours dans le gentry mais dans la zone où se concentraient les bars et les restaurants. Il s’arrêta devant un petit immeuble Belle Epoque de trois étages. Il pressa la puce contenue dans le billet d’invitation et quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit. Il marcha le long d’un large couloir avant d’arriver dans un hall. Esselbé se tenait devant un escalier de pierre. Sur la droite, dans une pièce éclairée, se trouvaient une dizaine d’hommes et de femmes parmi lesquels se trouvait une Sumi qui semblait très à l’aise. Pour être déjà présente, elle n’avait pas dû rentrer chez elle en banlieue sud et pourtant elle était vêtue différemment. Elle avait troqué sa robe noire pour un jean et un tee-shirt moulants. Perchée sur des chaussures à hauts talons, elle devait approcher le mètre quatre-vingt-dix. Domber, qui devait lever la tête pour lui parler, ne put s’empêcher de penser qu’ainsi accoutrée, il lui serait impossible de se tenir debout dans sa chambre-cave. Esselbé le présenta à l’assemblée comme son collègue écrivain en ligne. A part Sumi, tous ces gens étaient de la génération d’Esselbé. Parmi eux se trouvaient deux couples mixtes : un blanc et une africaine, une blanche et un asiatique. Il fut surpris par l’intensité des conversations, lui qui n’avait connu que des soirées entre étudiants presque silencieuses où tous étaient concentrés, à la fois sur leurs tablettes portatives, et sur la quantité d’alcool qu’ils s’étaient fixés d’ingurgiter. Celui qui paraissait être le propriétaire des lieux, un homme qu’Esselbé lui avait présenté comme étant un ancien éditeur, prit la parole et les invita à le suivre. Ils sortirent tous de la pièce pour se diriger vers le hall d’entrée. Là, l’homme ouvrit une porte, alluma une lumière avec un interrupteur, puis s’engagea dans un escalier assez raide qui menait à une cave. Domber eut l’impression de regagner sa chambre. La cave qui s’avéra beaucoup plus grande que la pièce où il vivait, était couverte d’étagères en bois sur lesquelles étaient alignés des centaines de livres. Au centre, se trouvaient une vieille imprimante, un massicot, une relieuse et un gros carton. L’homme, que tout le monde appelait G. G., sortit un long feuillet rigide qu’il enduisit de colle et dans lequel il inséra une liasse imprimée. Il fit quelques pas, plaça le tout sur la presse dont il serra la vis. Ils attendirent en silence une ou deux minutes puis G. G. desserra la vis, prit l’objet à la main, l’éleva au- dessus de sa tête et dit : « Et voici le nouveau livre d’Esselbé : Il faut solder les comptes. » Des applaudissements et des exclamations enthousiastes lui répondirent. Le livre passa de main en main. Certains en caressaient la tranche, d’autres la couverture ou bien l’ouvraient presque religieusement. Une fois entre ses mains, Domber en lut les premières lignes. « Les évidences sont trompeuses. Tout le monde prenait Lu pour un homme joyeux, sans doute parce qu’il était disert et paraissait très à son aise dans toutes les situations. Tous pensaient qu’il devait être heureux. Il n’en était rien. Il venait de réaliser que, parvenu à être ce qu’il avait ambitionné et possédant tout ce qu’il avait désiré, sa quête était terminée. La fin de cette recherche le laissait désespéré. Il en arrivait à souhaiter un accident de la vie, un retournement, pour ressentir ne serait-ce que de l’indignation, celle que l’on réserve généralement pour les grandes injustices […] ».
Domber fut instantanément replongé quelques années en arrière, lorsqu’il suivait son cursus à l’université de la Banlieue sud. Ses professeurs avaient, dès les premiers cours, fait leur sort à l’autofiction française, lui préférant les romans fleuves américains, la seule forme littéraire capable, disaient-ils, de donner du souffle à une littérature en souffrance. La littérature ne devait pas avoir peur de s’adresser à un public populaire, de descendre de cette sorte de piédestal sur lequel elle se crispait pour ne s’adresser qu’à un milieu d’intellectuels qui se réduisait, avec le temps, comme une peau de chagrin.
Esselbé s’approcha de lui et lui dit : « Je sais que tu as arrêté ton travail pour te remettre à écrire. Il ne faut pas que tu te laisses embarquer par ce métier débile d’écriture en ligne. Une fois que tu auras assez de bases pour tes histoires quotidiennes, prend du temps pour écrire ce dont tu as envie. G.G., si cela lui plaît, te publiera. » Domber se méfiait. Les écrivains qui encourageaient leurs collègues étaient rares. Il se dit que tout avait bien changé et que la crise retissait peut-être la solidarité. Il lui demanda à quoi cela lui servirait puisque plus personne ne lisait. « C’est ce que tu crois et ce que tout le monde veut croire mais il y a un marché parallèle. Le livre papier redevient à la mode peut-être en raison même de son interdiction. Il a de plus en plus de fidèles.» Il lui confirma que sa situation personnelle n’était pas si critique qu’il voulait bien le faire croire. Certes, il ne vivait pas aussi bien que vingt ans auparavant mais, s’il avait postulé pour le travail qu’ils faisaient tous les trois, c’était plus par curiosité que par nécessité.
En retournant dans sa cave, il ne prêta plus d’attention aux rues qui s’ouvraient devant lui, flashant son passage, perdu au milieu de ses rêves d’écriture, de ses histoires qui s’enchaînaient et se mélangeaient les unes aux autres. Il réalisa qu’en dehors d’exercices littéraires, il n’avait jamais eu le projet d’écrire un livre. Une fois dans chambre, il était à la fois excité à l’idée de pouvoir publier un jour et effrayé de ne pas être capable d’y arriver.
Désormais, il travaillait le jour et écrivait une partie de la nuit. Toutes les micros histoires qu’il avait écrites chez Marty lui servaient de base. Il essayait de les reprendre, de les étoffer, d’en améliorer le style mais il débouchait toujours sur une impasse. Au bout d’une vingtaine de pages, invariablement, la veine se tarissait et il se désintéressait de son sujet. Il rechercha, dans les fichiers qu’il avait conservés de ses études, des notes qu’il avait prises sur « les premiers pas en écritures », sur les « conseils à des écrivains débutants ». Il trouva une phrase d’un écrivain des années 1980, aujourd’hui décédé, qui disait qu’un jeune qui voulait écrire commettait plusieurs erreurs. Tout d’abord celle de vouloir tout dire dès le premier livre, ensuite d’imiter inconsciemment les écrivains qu’il aime, enfin, de s’entêter à parler de ce qu’il ne connaît pas. Domber comprit tout cela, d’ailleurs ce n’était pas pour rien qu’il était allé chercher ces conseils. Cela le taraudait. Il savait qu’au fond de lui, il y avait quelque chose qui voulait sortir, tapi dans sa mémoire, pour atteindre sa conscience. L’abandon de son travail, de sa compagne, du lieu où ils vivaient, dans une sorte de réflexe de survie, avait été une manifestation explosive de cet inconscient. Il n’avait pas fait tout cela pour vivre dans une cave, écrire à la demande à longueur de journée et devenir une espèce de sous-prolétaire de la culture, si ce mot avait encore un sens. Son cerveau se mit à fonctionner, à s’échauffer. Oui il allait écrire. Il allait enfin rendre compte de tout cela, de ce monde délirant, de son fonctionnement, de sa propre participation à cette déchéance morale et démocratique. Il allait déchirer de voile de l’hypocrisie, lui, Domber, parce que d’autres avaient été incapables de le faire avant lui, par lâcheté peut-être, surtout par manque de lucidité.
Il s’attela à la tâche, passant des heures à écrire, à revenir sur ce qu’il avait fait la veille, à reprendre, à rectifier, à trouver le mot juste, la formule qui traduisait avec exactitude ce qu’il voulait dire. Son travail chez Marty s’en ressentit. Curieusement, ses deux autres compagnons de travail connurent aussi la lassitude et le même flottement que lui. Ils décidèrent de démissionner tous les trois en même temps. Ils ignoraient s’ils seraient remplacés par d’autres écrivains en ligne et si la demande était assez forte. Domber avait un peu de temps et encore un peu d’argent pour finir son livre. De toute manière, il était totalement tourné vers son objectif. Quelque nourriture et un peu de café suffisaient à calmer son corps. Régulièrement, il passait chez Esselbé qui habitait un appartement confortable dans le gentry, au-dessus d’une enseigne de vêtements de luxe. Sumi y résidait également. Il ne savait pas si elle était sa compagne charnelle, ni quel était leur accord. Il avait cru comprendre qu’ils organisaient des soirées spéciales pour résidents fortunés et désœuvrés, un brin décalés, comme ceux qu’il avait rencontrés le soir de la sortie du livre d’Esselbé. Aux lectures à haute voix se mêlaient des scènes érotiques dont Sumi était la maîtresse d’œuvre. C’était un petit monde, totalement intégré, qui se marginalisait à l’occasion, un cénacle d’intellectuels qui démontait les mécanismes en jeu dans la société avec une rare pertinence mais qui se contentait d’échanger entre convaincus, refusant de passer à une critique d’ordre politique. Ils abhorraient les Nationaux populaires mais il n’était pas question qu’ils appuient sur le bouton du vote Républicains démocrates, seule force d’opposition, parce qu’ils les considéraient comme les alliés objectifs des Populaires. Ils se contentaient de détourner les codes moraux imposés par le pouvoir en s’encanaillant de mots et d’un peu de sexe.
Un soir, il assista à une des réunions qui se tenaient régulièrement dans le grand salon d’un hôtel particulier classé au patrimoine national auquel on accédait par une cour ombragée. Une performance intitulée « la culpabilité de la bourgeoisie » illustrait le thème de la soirée. Un long rideau isolait le public de ce qui devait être la scène. Sumi, dont les cheveux avaient poussé depuis sa démission, vint le tirer dans un geste exagérément théâtral et assumé. Assise sur le fauteuil « aux grandes oreilles » conçu par un célèbre designer, une jeune femme brune tirait sur une « chichette » en or d’où s’exhalait une fumée rose. Après avoir aspiré ostensiblement plusieurs fois, elle se leva et, marchant de long en large, fit admirer aux spectateurs ses vêtements siglés par les plus grandes marques. Domber se dit qu’elle portait sur elle probablement l’équivalent d’une année de son salaire de chez Marty. Décomposant ses gestes avec lenteur, l’artiste entreprit d’enlever ses habits un à un et les laissa choir négligemment. Une fois qu’elle fut nue, elle se retourna, s’accroupit devant le fauteuil, l’enlaça de ses bras et y posa doucement sa tête tandis qu’elle remontait ses fesses et écartait légèrement les jambes. Le silence pesant qui suivit, fut finalement interrompu par le défilé, depuis la porte d’entrée du salon, de quatre hommes dont la présence dans ce lieu du gentry était hautement improbable. Un campagnard en salopette grise maculée de boue ouvrait la marche, suivi d’un marginal aux habits déchirés et tachés d’auréoles indéfinissables. Le troisième homme, vêtu d’une impeccable combinaison plastifiée orange qui renforçait le sombre de sa peau, devançait un dernier individu, un migrant en tenue traditionnelle. Sans un mot, les quatre hommes, foulant à leurs pieds les vêtements de luxe, à tour de rôle, prirent possession de la femme dont la blancheur de la peau contrastait avec leur teint exagérément mat. Le silence complet n’était rompu que par le claquement froid des chairs qui s’entrechoquaient. Les quatre hommes, toujours muets, ressortirent du périmètre de la scène et du salon chacun à leur tour. Le visage toujours lisse et indifférent, la femme remit ses habits un à un avant de reprendre sa position initiale sur le fauteuil, tirant d’une manière rêveuse sur sa chichette. Si ce n’étaient les vêtements froissés et le fard autour des yeux, légèrement dilué, les spectateurs auraient pu penser qu’il ne s’était rien passé. Le rideau tomba.
Lorsque Sumi réapparut, le public sembla reprendre vie. Criant presque, les mains en porte-voix, elle annonça que tout le monde était convié à passer dans le salon contigu pour une collation et pour débattre et échanger avec l’artiste. Domber profita du mouvement de foule pour s’éclipser et retourner dans ce qu’il considéra ce soir-là, être sa tanière.
Lorsqu’il eut achevé son livre, Domber le fit lire à Esselbé qui lui servit de correcteur. Une fois le texte amendé il lui dit : « J’en ai parlé à G.G. Il est d’accord pour le publier. Tu sais qu’avec ce que tu as écrit, tu enfreins deux ou trois lois en vigueur. Certes nous sommes dans un réseau parallèle, non officiel mais tu risques des ennuis. Le RNP ce n’est pas l’Alliance des Républicains démocrates. »
Quelques semaines plus tard, dans la même maison que quelques mois auparavant, son livre fut à son tour à l’honneur. Commença alors l’épreuve de la diffusion. C’est ainsi qu’il apprit qu’il existait tout un réseau de librairies clandestines, pour la plupart situées dans le quartier transitoire. On y proposait, lors de ventes nocturnes, des livres papier, désormais interdits dans toute la communauté européenne. La taille de ces librairies variait, de la simple échoppe d’arrière-cour à un dédale organisé par l’emboitement de plusieurs caves. G.G., comme d’autres éditeurs, y tenait un stand. Chaque livre se vendait à un prix faramineux. Le sien coûtait à l’acheteur 400 eurodollars, un quart du salaire de base d’un ouvrier. G.G., privilégiant la tradition, lui reversait environ dix pour cent de la vente. Il devait être présent à ces soirées qui s’éternisaient souvent. Il expliquait à ceux qui étaient là, ce qui l’avait motivé à écrire ce livre. Selon Esselbé, il y avait de fortes chances que parmi ces gens, il y eût des observateurs verts, dépêchés par Bruxelles pour signaler les entorses à la loi sur le papier. Habilement, G.G. prétendait que les livres étaient fabriqués à partir d’anciens ouvrages dont les feuilles avaient été traitées dans des bains au javel pour effacer l’encre, puis séchées et renforcées par une teinture naturelle à base de brou de noix, avant d’être réimprimées. Mais ce n’était pas le cas de tous les livres qui étaient vendus dans ces lieux. Pour Domber, le danger le plus sérieux était la présence probable d’infiltrés institutionnels. Le gouvernement tolérait ces librairies clandestines tant qu’elles le restaient. Cependant, il ne fallait pas que les ouvrages remettent en question les lois établies depuis cinq ans et notamment, la ségrégation ethnique, le contrôle absolu des communications ou encore l’esclavagisme au travail. C’était justement tout ce que lui, Domber, dénonçait dans son livre, ainsi que la mort de la culture. Celle-ci s’était tellement délitée qu’elle avait quasiment disparue et, lorsque le gouvernement avait imposé un périmètre pseudo-culturel, les citoyens avaient naïvement cru à un progrès.
C’est au cours d’une de ces soirées qu’il revit Epangélia, son ancienne compagne. Elle était encore plus diaphane ou du moins ce fut son impression. Si elle avait renoncé à l’écriture, elle ne s’était pas pour autant détournée de la lecture. Lassée, puis finalement dégoûtée par les ouvrages-feuilletons proposés sur le web, elle avait fini par rejoindre le public de plus en plus large des soirées clandestines. Elle travaillait toujours au même endroit et vivait seule dans leur ancien appartement. Elle lui dit que quelques mois après son départ elle avait fini par comprendre. Si elle avait décidé, au contraire de lui, de ne plus écrire, c’était sans doute qu’elle n’était pas porteuse d’un désir aussi intense que le sien.
Ils se revirent plusieurs fois. Domber se rendit compte que sa douceur lui avait beaucoup manqué. Ces huit mois de séparation les avaient fait évoluer, chacun de leur côté. Les choses étaient plus claires. Il avait fini par s’engager et Epangélia comprenait son attitude même si son tempérament dolent, qu’au fond il appréciait, probablement parce qu’il l’apaisait, l’entraînait naturellement vers l’acceptation. Pour Domber, le regret du temps de sa jeunesse n’était pas la simple nostalgie de l’adolescence perdue mais le refus d’un monde accablant. Tout dans cette époque le révoltait et ce qu’il avait pris pour la neutralité d’Epangélia l’avait poussé à partir. Il avait cru, un temps, que c’était avant tout une histoire de lieu et d’espace et que le fait d’aller vivre dans un quartier où tout semblait apaisé, où les problématiques les plus vives perdaient de leur acuité, lui permettrait d’accepter ce monde. Ce fut un leurre. Les habitants du gentry, protégés par les lois et l’Etat, ne connaissaient pas encore cette crainte obsidionale permanente qui a été celle des sociétés coloniales au XX siècle et pour l’éviter ou la conjurer, se droguaient à la consommation, au bio et au sexe. Ce quartier était une sorte de camp de vacances pour riches au cœur de cités pauvres. L’ennemi n’était pas tant à la périphérie que dans le centre où les habitants approuvaient majoritairement des lois à leur seul avantage. Avec son livre, Domber remettait du débat au cœur de leur vie. La remise en question de leurs propres fonctionnements les stimulait sans doute un peu. Ils avaient besoin de cela pour accepter cette société. Ils en profitaient, puisqu’elle était tout à leur avantage, mais ainsi, leur mauvaise conscience allégeait leur propre responsabilité.
Ceux qui se rendaient à ces réunions, tout en étant de plus en plus nombreux, appartenaient à la petite minorité des gens ouverts du gentry. Esselbé représentait le type même de cette catégorie d’urbains. Quoique privilégié, il ne s’estimait pas favorisé au point de revêtir la carapace du cynisme absolu et de l’indifférence la plus abjecte. Tout en restant à l’abri dans son quartier, il acceptait, de temps en temps, de bousculer cette structure sociale figée. Comme il le dit un jour à Domber, il ne voulait pas perdre ce qu’il possédait. Sa révolte resterait limitée au périmètre de la tolérance gouvernementale. « Renonçant à faire bouger les lignes, je préfère les faire frissonner – avait-il l’habitude de dire – par quelques écrits ironiques ou par l’organisation d’happening transgressifs ». L’écrasante majorité continuait, quant à elle, à vivre sans même soupçonner qu’il y avait au-dessous d’eux, une vie souterraine qui pouvait travailler à la chute de leurs privilèges. En quelques mois, Domber récupéra plusieurs dizaines de milliers d’eurodollars qui lui permirent de vivre et de ne se consacrer qu’à l’écriture.
Il habitait à nouveau avec Epangélia. Elle rentrait tard et était heureuse qu’il lui prépare un petit repas, comme au temps de leurs grands-parents. Leurs soirées étaient douces. Il écrivait toute la journée et, dès qu’elle rejoignait le domicile, il retirait sa barrette, se mettait à cuisiner et ils passaient de longs moments à discuter.
Un matin, alors qu’il travaillait à son second livre, un roman qui avait pour cadre la banlieue nord et qui tentait de mettre à jour les ressorts d’une future catastrophe, il reçut sur la nouvelle table numérique qu’il venait d’acheter, un message en bleu blanc rouge avec, en haut à gauche, le logo du gouvernement. Il lut qu’il avait enfreint les articles 89 et 90 3A et 3B du code des lois françaises. C’était un avertissement et une injonction à arrêter d’écrire des textes qui - était-il indiqué - allaient à l’encontre des intérêts du pays. Il s’affola un peu, autant perturbé par l’intrusion que par la menace qu’elle faisait planer sur lui. Il en parla le soir même à Epangélia. Elle lui suggéra de travailler sur sa vieille table numérique qui n’était probablement pas sous le contrôle des autorités. Il se rangea à cette décision même si sa tranquillité d’esprit s’était effritée. Il continua cependant à écrire avec l’impression que quelqu’un se tenait en permanence à ses côtés et regardait par-dessus son épaule. Son écriture s’en ressentit. Il écrivait plus lentement et reprenait systématiquement ses phrases, persuadé, à tort ou à raison, qu’il s’autocensurait. Quelques semaines plus tard, un second message émanant du gouvernement l’informa d’une interdiction d’écriture pour une durée de 5 ans, sous prétexte qu’il n’avait pas tenu compte de l’avertissement qui lui avait été donné. Ses tablettes seraient mises en veille, Domber se dit qu’il continuerait son travail grâce au matériel d’Epangélia mais, à leur tour, ses ordinateurs furent réduits au silence. Il ne pouvait plus se connecter ni écrire. Très angoissé, il se rendit, le soir même, à la Librairie bourdieusienne qu’il fréquentait régulièrement, tenue par une association d’anciens professeurs de littérature, d’anciens étudiants en écriture comme lui et des libraires d’avant le krach du livre. Ceux qui étaient là le rassurèrent. Ils lui donnèrent l’adresse d’un bricoleur qui lui fournit un vieil ordinateur pirate, une machine hors d’âge qui ressemblait à une boîte à outil en ferraille auquel était soudé un clavier à touches, un peu comme ces minitels qu’il avait vu dans le grenier de la maison familiale.
Désormais, il vivrait dans une complète clandestinité. Ses revenus, certes aléatoires puisque dépendant entièrement de son écriture et de l’intérêt qu’un public clandestin pouvait lui porter, devraient lui permettre de survivre. Quant à Epangélia, elle continuait à travailler pour payer l’essentiel. Il sentait poindre en lui un sentiment qu’il n’avait plus éprouvé depuis son adolescence et qui s’apparentait à une forme consciente de bien être, pour ne pas dire de bonheur. Il allait être ce qu’il avait toujours rêvé de devenir. Il allait se consacrer totalement à son écriture mais en outre, il en retrouvait le sens véritable, celui de dire, d’avertir, de critiquer que les écrivains avaient longtemps oublié et qui expliquait peut-être pourquoi désormais il devrait vivre caché.
Chapitre 2
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